Le Mariage chez les Sawa, cas des Malimba.
Entrecôte de chèvre au menu: L´absence de cet animal est considéré comme un manque d´égards par les
belles-familles.
Par
Dorine Ekwè
Dans une ruelle du quartier Essos, les populations quelque peu abasourdies
assistent à une scène cocasse et peu commune. Des femmes, toutes vêtues de
"Kaba" aux motifs identiques, s´attellent à déménager l´appartement
d´un jeune homme du coin: Jean Pierre, qui, dans les toutes prochaines heures
prendra pour épouse leur fille, Aurore. Les parents de Jean Pierre assistent,
impuissants, à la scène, vacillant de temps à autre sous le coup des injures
qui leur sont servies. Ahuris, les curieux voient alors dégringoler un vieux
matelas, défiler de vieilles casseroles, et entendent fuser le rire gras et
moqueur des Bito ba abélé (les femmes de l´abélé), une trentaine de femmes au
total, et dont la mission est de meubler la maison de leur fille, et de chanter
tout au long des cérémonies de dot et de mariage. Cette scène est, en fait, la
toute dernière à laquelle se livre la famille de la future épouse avant le
moment "M". Elle se déroule la matinée du jour prévu pour le mariage
parce que, comme l´explique Emilie Kouoh, " c´est le moment idéal pour
donner les derniers conseils à notre fille."
Cependant, même si au sein de cette famille la tradition semble encore
profondément ancrée dans la pratique quotidienne, il n´en est pas de même pour
toutes les familles Sawa. En effet, du fait de la crise économique, plusieurs
clans ont dû revoir les différentes étapes du mariage et qu´ici, on ne
souhaiterait nullement associer à un quelconque marchandage: "Ce sont en
fait de simples cadeaux que le gendre offre à ses beaux parents. C´est une
sorte d´hommage", précise Ndoumbè Eyoum. La composition des listes remises
aux gendres varie parfois d´un clan à l´autre, cependant. Mais globalement, le
processus reste sensiblement le même sur toutes les berges Littoral.
Évolution
Contrairement à ce qui se passait dans les années 1960-1962, années au cours
desquelles les jeunes filles originaires de cette province, n´étaient pas à
l´abri des rapts et autres persécutions du genre pour se voir marier, la
situation a considérablement changé. Madame Ndongo, Malimba ayant épousé un
Beti, se souvient : "A ce moment là, dès qu´une fille avait l´âge de 14-15
ans, elle n´était plus en sécurité. Marcher en route était un grand risque
parce que des individus surgissaient de nulle part pour nous enlever et aller
nous marier. C´est après que la famille était invitée et pouvait déposer sa
liste. J´ai une soeur qui a aussi été ratée et mariée et qui est aujourd´hui
mère de trois enfants". Et quand on avait été ratée, il était scandaleux
de s´enfuir, cela était considéré comme la pire des hontes que pouvait alors
subir une famille. "quand elle est partie, c´est qu´elle est partie",
disait t-on. De nos jours, les choses ne sont plus les mêmes. La fille est,
dans la plupart des cas, libre de choisir son fiancé. Celui-ci, sur accord des
parents, vient alors se présenter. Et Ndoumbè Eyoum de préciser : " même
si dans la famille on connaît cet homme, les données changent complètement
lorsqu´il s´agit de mariage. Le jeune homme prend alors une toute autre dimension
à nos yeux ". Ainsi, accompagné des membres proches de sa famille, le
jeune garçon vient " frapper à la porte " du père de sa fiancée avec
une bouteille de Rhum, St James de préférence.
Le long de la côte camerounaise, on se souvient encore de ce rhum venant des
Antilles et que les Européens dégustaient pendant la colonisation, laissant les
populations locales à leur vin de palme ou de raphia. Dans la plupart des cas,
cette étape fortement redoutée par les futurs époux, est considérée par les
membres des deux clans comme une épreuve de nerfs. Et reste celle qui est le
plus respectée ces dernières années. Selon un père de famille, "il arrive
des fois où le gendre vient juste se présenter et les choses vont ensuite très
vite". Pendant l´échange, le père use alors de tout son pouvoir
d´intimidation sur celui-là qui "ose" venir lui demander la main de
sa chère fille. C´est en effet l´occasion de tester la personnalité du gendre.
Le sourire aux lèvres, Esso Kwédi se souvient de cet impair qu´avait commis son
gendre lors de cette cérémonie :" il était tellement ému qu´il a tout
simplement brisé la bouteille qu´il me tendait. Ce qui est un très mauvais
signe pour la suite des événements. Et c´était fort pathétique de le voir là,
balbutiant à tous les coups. La sueur perlant sur son front, il semblait ne
plus savoir ce qu´il disait. Mais heureusement, il avait pris la précaution de
s´entourer de bonnes personnes, ses oncles, qui ont réussi à le sortir de cette
mauvaise situation ".
Encore sous le coup de l´émotion, Aurore raconte : " Vous savez que lors
de ces échanges, la fille concernée n´est pas présente. Et moi, j´ai passé tout
mon temps à guetter à travers la serrure d´une porte pour suivre l´évolution
des choses. A un moment, mon mari a dû mal s´exprimer et j´ai entendu mon père
lui demander si son but était de venir officialiser le concubinage chez lui. Il
le lui disait en faisant mine de ne pas prendre la bouteille. Vous ne pouvez
pas savoir dans quel état je me trouvais à ce moment là". Lors de cette
rencontre, le père doit prendre la bouteille que lui offre son gendre, par
l´entremise de sa fille. Dans le cas contraire, le geste serait vu comme le
refus du père d´accorder la main de sa fille. Et lorsque la précieuse
"bouteille " est acceptée, c´est l´ouverture des fiançailles: le
jeune homme peut désormais venir à la maison familiale et rendre visite à sa
dulcinée sans être inquiété de quelque façon que ce soit. A l´issue de cette cérémonie, les membres des deux familles se rencontrent et partagent un repas que la fiancée et sa
mère auront préalablement concocté, mais où la fille aura grandement participé
pour donner un aperçu de ses talents de cuisinière à ses " beaux ".
De son côté, le fiancé fait don à ses beaux parents de boissons (liqueurs et
légères) ainsi qu´une " enveloppe symbolique ", appelée " kanda
" ou " dikanda " selon la région. Cette somme devra alors être,
en principe, partagée entre la fille et ses parents. La pratique des cadeaux
faits par le fiancé à sa préférée, est de plus en plus délaissée, à cause du
coût élevé de la vie. De même que la pousse-pousse de nourriture offert par la
famille de la fille à celle du garçon chez les Malimba.
Encore sous le coup de la colère qui l´a animé ce jour-là, le chef de famille
Ndoumbè Eyoum raconte la plus grosse " humiliation " qu´il ait
essuyée alors qu´il organisait la dot de l´une de ses filles. Ce jour là en
effet, son gendre et sa famille étaient arrivés avec presque tous les éléments
demandés sur la liste, à l´exception de la chèvre. Cette grosse chèvre à la
chair tendre qui, le jour même, devait être dépecée, cuite à point et dégustée
sans laisser de côté la moindre partie, par les membres de la famille de la
femme en signe d´alliance. Cette chèvre sur laquelle, au sein de la belle-
famille, on a parié toute la nuit sur la grosseur et les attributs, les
inconscients l´avaient tout simplement mise de côté parce que, nous raconte le
vieil homme, "voyant l´ampleur que prenaient les choses, ils nous ont dit
qu´ils sont allés au marché et il n´y en avait pas d´assez grosse, et espéraient
compenser son absence par de l´argent. C´est complètement idiot, parce que cet
animal lie les deux familles. Comment continuer une telle cérémonie sans son
élément essentiel? Je suis sûr qu´ils n´avaient tout simplement pas d´argent
alors que nous avons pris le temps de discuter avec eux, et avons même
soustrait quelques éléments pour leur faciliter la tâche", termine-t-il,
frappant impatiemment le sol de sa canne.
Sorcellerie
" L´incident diplomatique " a été évité ici de justesse. Mais ailleurs,
on se souvient de la rage des anciens qui ayant constaté l´absence de la
chèvre, ont tout simplement décidé d´éliminer la fille concerné pour donner une
leçon aux autres. Aussi, au sein d´autres groupes, les choses ne se passent pas
toujours avec autant de facilité et de légèreté. Conscient de ce que lors de
"ces cérémonies, les gens essaient toujours de flouer les autres",
Dicka Mpessa, originaire du village Abo, et occupant le rôle de chef de
famille, précise: " Ce sont des techniques que l´on ne tolèrent pas ici.
Les parents qui acceptent une chose comme celle-là, ne sont pas très conscients
de ce qu´ils font. Parce que, vous savez, dans les villages, la dot est vue
comme un moment de partage, et on ne doit pas s´amuser comme cela. Les parents
peuvent accepter mais comment vont-ils l´expliquer aux autres membres du clan?
C´est sûr, que vous ne feriez pas long feu après, sinon pendant la cérémonie
même", raconte-t-il en se souvenant de sa fille, foudroyée lors de la
cérémonie du mets de pistache, symbole de l´amitié entre les deux familles:
"tout simplement parce que, en faisant une dot précipitée, elle a donné la
latitude à son gendre de laisser de côté certaines exigences". Si du côté
des Abo, dans le Moungo, on partage le même point essentiel dans le processus
de dot, la chèvre en l’occurrence, qui est considérée comme élément d´union, ce
n´est pas la même chose au sein d´autres ethnies du groupe sawa.
Madame Ndongo, Malimba, se souvient de cette bouteille de liqueur qui a failli
faire tourner la cérémonie au drame dans son village, près de l´embouchure de
la Sanaga. La liste de la dot étant faite, comme chez la plupart des Sawa, en
deux exemplaires: celle des hommes (Bededi ba tumba- les cadeaux des hommes-)
et celle des femmes (Wanga bito-le sel des femmes-), le malheureux fiancé
n´avait pas respecté les quantités: deux bouteilles de Johnny Walker manquaient
à l´appel. Ulcérés par ce manque total d´égards, les hommes présents ont tout
simplement décidé d´annuler la cérémonie. Ceci au grand dam de la fiancée qui
n´en pouvait plus de pleurs, mais également des " doteurs " qui ont
dû réparer l´affront à grands coups de Cfa. Dans les esprits, la crainte d´une
réaction "mystique" de la part des anciens du village est fort
redoutée. Un témoin de raconter : "vous savez que, pour la plupart d´entre
eux, c´est le moment de découvrir ces choses là. Vous comprenez donc leur
fureur lorsque vous leur coupez comme cela l´herbe sous les pieds". Ici
également, les listes ont vu quelques modifications. Alors, plus de Mukanjo
(morue) tant convoité tant par les hommes que les femmes, même les édentés. Ce
poisson, naguère essentiel, a été remplacé par la chèvre et à certains
endroits, le porc.
Chez les femmes, les revendications se font toujours de façon plus subtile. Lorsque
le gendre et sa famille se " sont bien comportés ", elles leur
préparent un gigantesque mets de pistache où elles mêlent viande, poisson fumé
et concombre, en récompense des efforts effectués pour remplir toutes les
obligations. Une de celles-ci, la cantine de la mère de la mariée, et de ses
"coépouses" est cependant écartée aujourd´hui au profit du sel (une
douzaine de sacs). Dans le cas contraire, les femmes de l´Abélé se chargeront,
par leurs chants pleins d´injures les plus insupportables, de signifier leur
mécontentement à ces " incapables ". Un mécontentement qui peut dans
la plupart des cas, avoir une incidence fort néfaste sur la vie de couple de la
fille qui va en mariage.
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